Causerie prononcée pour la première
fois devant le Rotary-club de Chalon-sur-Saône,
le 14/02/94 (cf. Histoire
de Bibracte, l'épée flamboyante, publiée en
1995, page 329)
Mesdames et messieurs,
Notre civilisation est d'origine gauloise. Elle
est née à Gergovie et à Bibracte qui furent les deux
capitales de notre pays, avant Paris.
Dans ce premier ouvrage Histoire
de Bibracte, le bouclier éduen, je raconte l'histoire de
la fabuleuse cité antique de Bibracte, qui se trouvait, non pas
au Mont-Beuvray, mais au Mont-St-Vincent.
Dans ce deuxième ouvrage Histoire
de Gergovie, je raconte la non moins fabuleuse histoire d'une autre
grande cité antique, Gergovie, patrie de Vercingétorix, qui
se dressait, non pas sur le plateau désert que l'on montre aux touristes,
mais dans le village médiéval du Crest, sur un promontoire
rocheux, à 12 kilomètres au sud de Clermont-Ferrand.
Bibracte et Gergovie furent pour la Gaule ce que
Paris est aujourd'hui à la France.
Dans ses Commentaires sur la guerre des Gaules,
au Ier siècle avant notre ère, César écrit
ceci: L'oppidum de Bibracte est le siège de l'autorité suprême
du peuple éduen.» Et il écrit encore: Le peuple éduen
avait depuis longtemps la prédominance en Gaule.»
Au Second Empire, on pensait que Bibracte se trouvait
à Autun.
Lorsque Bulliot découvrit sur le Mont-Beuvray
les premiers vestiges d'une ville gauloise, il a pensé, tout naturellement,
que ce site, placé sur une hauteur, convenait bien mieux à
la Bibracte des Commentaires de César que la ville d'Autun.
Mais des vestiges archéologiques, on en
trouvait aussi à Autun. Entre les partisans d'Autun et ceux du Mont-Beuvray,
la discussion fut parfois vive. Poussé dans ses retranchements,
Bulliot s'est très vite rendu compte que la simple découverte
de vestiges archéologiques n'était pas une preuve suffisante.
La
preuve suffisante et nécessaire, c'est dans les Commentaires
de César qu'il fallait la trouver.
En effet, dans ses Commentaires, César
écrit que Bibracte se trouvait à 27 kilomètres de
son camp, la veille du jour où eut lieu la grande bataille qu'il
remporta sur les Helvètes. Bulliot a donc pris son bâton de
pèlerin; il a parcouru la région, le livre des Commentaires
à la main, pour retrouver ce fameux champ de bataille ainsi que
le camp romain de la veille. Mais comme il voulait prouver sa thèse,
il n'a cherché ces lieux que dans un rayon de 27 km autour du Mont-Beuvray.
Il place le camp de César à Toulon-sur-Arroux
- qui se trouve effectivement à 27 km du Mont-Beuvray - et ensuite,
pour coller avec le texte latin, il est allé chercher le champ de
bataille plus loin, vers l'ouest, dans les reliefs tourmentés et
boisés de Montmort. Et il a demandé au colonel Stoffel de
venir sur place pour accréditer sa thèse.
Stoffel, ancien aide de camp de Napoléon
III, s'était déjà fait connaître pour avoir
dirigé les fouilles d'Alise-Sainte-Reine. Il est venu sur place
et il a imaginé un scénario de bataille.
Le scénario de Stoffel, l'emplacement où
il situe le champ de bataille des Helvètes, dans les reliefs tourmentés
de Montmort, le déroulement des combats, dans tout cela, il n'y
a rien de sensé. Aujourd'hui, aucun officier sérieux ne pourrait
soutenir une telle thèse.
Conséquences de cette grave erreur, trois
points sont à souligner:
1. Dans son édition des Commentaires
de César de 1926, périodiquement rééditée,
le professeur Constans a cherché à faire coller sa traduction
avec la thèse Stoffel, et il a rendu obscur un texte qui, dans sa
version latine originale, était très clair.
2. Cette mauvaise traduction de Constans
est toujours la référence de l'archéologie officielle.
3. A la différence de Bulliot qui
voulait prouver que Bibracte se trouvait sur le Mont-Beuvray en retrouvant
l'emplacement exact du champ de bataille des Helvètes, aujourd'hui,
l'archéologie officielle ne cherche plus cette localisation. Elle
ne s'appuie que sur des vestiges archéologiques, nombreux certes,
mais qui n'ont toujours pas donné le nom de la ville gauloise qui
se trouvait sur la hauteur.
Six mois après la publication de mon Bouclier
éduen, le Centre archéologique européen du Mont-Beuvray
publiait un livre de M. Christian Goudineau, professeur au collège
de France, historien et archéologue réputé... Bibracte
et les Eduens, à la découverte d'un peuple gaulois. Dans
cet ouvrage, l'auteur reprend la thèse de Bulliot: puisque Bibracte
ne peut être Autun, elle ne peut se trouver qu'au Mont-Beuvray.
Dans cette affaire aux implications financières
très importantes (300 millions de centimes prévus par an
pour les fouilles, 200 millions de francs prévus pour la mise en
valeur du site, y compris la construction du musée archéologique
européen), il aurait fallu, avant les grands discours officiels,
revenir à la source des auteurs grecs et latins.
S'inspirant d'auteurs antérieurs, Strabon
écrit ceci au début du Ier siècle après J.C.:
Entre
le "Dubis" et l'Arar (la Saône) habite le peuple des Eduens, avec
une ville, Cabyllinum (Chalon-sur-Saône), et une citadelle, Bibracte».
Il aurait fallu se poser la question suivante: Comment traduire le mot
"Dubis"?»
Si Bibracte s'était trouvée au Mont-Beuvray,
Strabon aurait écrit que le peuple éduen s'étendait
entre le "Liger" (la Loire) et l'Arar (la Saône). Pour Strabon, le
Liger, de même que l'Arar, était un nom connu qui ne prêtait
à aucune équivoque.
Or, Strabon cite plusieurs fois ce "Dubis", notamment
quand il dit que le territoire des Ségusiaves de Lyon s'étendait
entre le Rhône et ce "Dubis".
Si l'on traduit Dubis par Doubs, il faudrait croire
que Strabon plaçait les Ségusiaves entre le Rhône et
le Doubs, et les Eduens entre la Saône et le Doubs, ce qui est, non
seulement faux, mais absurde. Dans le texte de Strabon, il faut traduire
Dubis par Dheune, ou plutôt par le couloir Dheune/Bourbince; ce couloir
permettait aux voyageurs de passer de la Saône à la Loire.
Bref, dans cette interprétation, pour un
étranger qui voyageait par les grandes voies de circulation, le
territoire des Ségusiaves se trouvait bien entre le Rhône
et le couloir Dheune/Bourbince. Le pays éduen se situait bien entre
l'Arar et ce couloir... sur un axe comportant, en avant, une ville, Chalon-sur-Saône,
et en arrière, une forteresse/refuge, Bibracte... une forteresse/refuge,
Bibracte, qu'il faut chercher au sud de ce couloir et non au nord, ce
qui exclut le Mont-Beuvray du pays éduen, tel qu'il est
délimité par Strabon.
Et en effet, comment s'articulait le comté
de Chalon, au début du XIII ème siècle, avant de se
fondre dans le duché de Bourgogne? Sur deux points: une ville, Chalon-sur-Saône,
une forteresse/refuge: Mont-St-Vincent... entre la Saône
et le couloir Dheune/Bourbince.
Strabon a écrit également ceci:
Du
Rhône, les marchandises passent dans l'Arar, puis dans le Dubis,
son affluent. Elles sont transportées ensuite par terre jusqu'à
la Sequanas, d'où elles descendent par voie fluviale jusqu'à
l'Océan». Il est bien évident que, là aussi,
Dubis ne peut pas désigner le Doubs, mais la Dheune. Après
avoir remonté le Rhône puis la Saône, les marchandises
remontaient par bateaux la Dheune jusqu'aux environs de Chagny, et là,
on les déchargeait pour les transporter par voie de terre jusqu'à
l'Armançon, d'où elles redescendaient ensuite jusqu'à
la Seine et jusqu'à l'Océan.
Or, César, citant le Doubs qui entoure
Besançon dans l'une de ses boucles, l'appelle également "Dubis".
Pour comprendre, il faut se mettre dans l'esprit des Anciens. Il faut raisonner,
non pas avec nos concepts modernes, mais en termes de voies antiques. Supposons
que le mot "Dubis" ait désigné à l'origine, non pas
un fleuve, mais une voie: la voie Dubis. Supposons que cette
voie ait donné son nom aux cours d'eau qu'elle suivait. Alors, tout
devient clair. Partant de Besançon, les marchands séquanes
descendaient le Doubs (Dubis), passaient à Pontoux (Pons Dubis),
traversaient Verdun-sur-le-Doubs, remontaient la Dheune (Dubis), puis la
Cosanne au pied du mont de Sène (sène <- séquane),
se repéraient sur la colonne au Jupiter de Cussy, passaient à
Vidubia (la voie Dubis), station de la carte de Peutinger que je situe
aux sources de l'Ouche, traversaient le pays des Mandubiens (hommes du
Dubis) en suivant l'Armançon et descendaient la Sequanas (voie séquane)
jusqu'à l'Océan et jusqu'aux mines d'étain de Cornouailles.
Cette
voie Dubis, c'était la voie de l'étain du peuple séquane.
Lorsque Strabon utilise le mot grec signifiant
"citadelle" pour désigner Bibracte, il pense, de toute évidence,
à une forteresse de type grec, avec des remparts, des créneaux,
des tours, des pierres cimentées à la chaux. Les fortifications
grossières et en terre du Mont-Beuvray ne sont pas à l'image
d'une forteresse de type grec mais font plutôt penser à des
constructions édifiées dans une situation d'urgence - sans
mortier de chaux - et à l'économie .
Par ailleurs, Strabon nous rappelle que l'Alésia
où les Romains triomphèrent des Gaulois (Alise-Ste-Reine)
était une cité du peuple mandubien (César le dit aussi
dans ses Commentaires). Et il ajoute que le territoire de ce peuple
mandubien touchait au territoire des Arvernes... cela signifie que
le Mont-Beuvray n'était pas en territoire éduen, mais en
territoire arverne, et qu'il ne pouvait pas, par conséquent,
être Bibracte.
Les habitants d'Alise-Ste-Reine étaient
des Mandubiens qui se trouvaient sous l'autorité des Lingons. Il
faut le dire une bonne fois pour toutes: Alise-Ste-Reine n'était
qu'une cité subalterne, qui n'a mérité d'être
citée dans les textes grecs et latins que par le fait qu'elle a
eu la particularité d'avoir été un champ de bataille.
Des localités portant le nom d'Alésia,
ce n'est pas ce qui manque en Gaule. Non loin de Chalon, Aluze était
une Alésia.
Dans le langage celte, Alisium, Alésia,
est un mot qui désigne une position fortifiée... de même
que Bibrax... de même que Bibracte. Ces deux mots étaient
synonymes.
Lorsque les auteurs grecs et latins parlent d'Alésia
- en dehors de la bataille d'Alésia - il fallait deviner qu'il ne
pouvait s'agir d'Alise-Ste-Reine - cité vassale des Lingons - mais
de Bibracte, Mont-St-Vincent.
Lorsque dans son Histoire naturelle, Pline écrit
au Ier siècle après J.C. que l'étamage des métaux
était une invention gauloise et que l'application à chaud
de l'argent sur les harnais des chevaux et sur les attelages des chars
de parade fut réalisée, pour la première fois, à
Alésia, il fallait comprendre que c'était à Bibracte,
au Mont-Saint-Vincent.
Lorsqu'au Ier siècle avant J.C., Diodore de
Sicile évoque la légende de la fondation d'Alésia
par Hercule au cours de sa course errante, il fallait deviner que
c'est une colonie herculéenne qui, pour la première fois,
s'est établie et retranchée, non pas à Alésia/Alise-Ste-Reine,
mais sur Alésia/Mont-Saint-Vincent. Cet Hercule, ajoute
Diodore (c'est-à-dire: cette colonie herculéenne) tomba
amoureux d'une princesse indigène. Il n'est pas besoin de connaître
le grec pour deviner que les nouveaux colons, grecs ou phéniciens,
mêlèrent leur sang pur au sang impur des belles autochtones.
De leur union naquit Galatès (c'est-à-dire nous, la Gaule).
C'est Galatès qui a donné au pays son nom de Galatia.C'est
Galatès (ces bâtards de colons) qui tentèrent de
civiliser la Gaule en interdisant les injustices et les meurtres rituels
que les indigènes commettaient sur les étrangers.Hélas!
poursuit Diodore, la population indigène était plus nombreuse
que les soldats d'Hercule; et les Barbares reprirent le pouvoir sur
le Mont-Saint-Vincent. Et Diodore termine par cet étonnant témoignage:
Alésia
(c'est-à-dire Bibracte, le Mont-Saint-Vincent)
était
le foyer et la métropole de toute la Celtique.»
Non, ce n'est certainement pas le Mont-Beuvray
qui pouvait être la métropole de la Celtique. Perdu dans ses
forêts de hêtres, le Mont-Beuvray ne correspond en rien à
l'image qu'on pourrait se faire d'une colonie grecque ou phénicienne.
En revanche, les murailles du Mont-St-Vincent correspondent à cette
image.
Confirmant la légende de Diodore, les nombreux
vestiges archéologiques retrouvés dans la Saône nous
prouvent que le développement du pays éduen s'est fait à
partir de ce fleuve, jusqu'à la Dheune dans un premier temps, jusqu'à
l'Arroux ensuite, puis jusqu'à la Loire.
Une bonne image de ce pays éduen nous est
donnée par le dispositif des quartiers d'hiver qu'adopta César
après la bataille d'Alésia une légion à Mâcon,
une autre à Chalon. Pour soutenir ces deux légions, il est
bien évident que la position du Mont-St-Vincent était beaucoup
plus logique que la position beaucoup trop retirée du Mont-Beuvray.
En s'installant à Bibracte/Mont-St-Vincent, César soutenait
ses deux légions et surveillait, et la Saône, et le peuple
éduen des bords de Saône.
Oui, Bibracte était une véritable
forteresse, mais c'était aussi une cité rayonnante comme
l'était Athènes; c'était une cité d'origine
phénicienne.
Revenons maintenant aux Commentaires de Jules
César sur la guerre des Gaules .
Le noyau dur de l'affaire se résume en
une phrase: Vers l'an 58 avant J.C., le peuple helvète, en mal d'émigration,
quitte ce qui est aujourd'hui la Suisse et s'avance dans le pays éduen.
César intervient, livre bataille et bat les Helvètes. La
nuit précédant la bataille, le camp de César se trouvait
à 27 kilomètres de Bibracte.»
Vers l'an 58 avant J.C., menacé sur ses
frontières du nord par des peuplades germaines, le peuple helvète
368 000 âmes, 92 000 combattants décide de quitter le territoire
qu'il contrôlait pour venir s'installer en Gaule. Dans mon Bouclier
éduen, j'explique que les Helvètes sont venus en Gaule
à l'appel des responsables éduens qui se trouvaient alors
en difficulté.
Voici (cf. mon Bouclier
éduen p. 46) une monnaie frappée par les Helvètes,
avant leur migration, à l'intention des Eduens (Eduis: pour les
Eduens). Cette monnaie
prouve que les Helvètes ne
sont pas venus en Gaule pour piller le pays mais qu'ils avaient prévu
d'acheter leur blé au cours de leur déplacement. Leur migration
était - en principe - une migration pacifique, qui
se déplaçait de point de ravitaillement en point de ravitaillement,
c'est-à-dire d'un oppidum à un autre oppidum (c'est dans
les oppidum que les stocks de blé de l'Etat étaient stockés).
Voici (p. 40) le déplacement des Helvètes,
tel qu'on peut le reconstituer logiquement d'après le texte de César.
Maintenant, je prends le texte des Commentaires.
Je traduis: Ayant appris par ses explorateurs
que l'ennemi s'était arrêté au pied d'un "mons".
Constans identifie ce mons au mont de Sanvignes: c'est exact.
(Le mont de Sanvignes, qu'on appelle plus couramment la colline de Sanvignes,
est une hauteur caractéristique qui se dresse comme un cône
isolé dans la plaine de Montceau, magnifique point de vue).
Je continue ma traduction: le camp de César
se trouve à 11 km 800 de ce mont. A 11 km 800 du mont de Sanvignes,
il n'y a qu'une position défensive digne de César: l'oppidum
de Gourdon.
Pendant la nuit, César
envoie Labiénus occuper le sommet de ce mont
(de Sanvignes) et, venant de Gourdon avec le gros de ses troupes, avant
le lever du jour, il marche en direction du camp des Helvètes (p.
60). De toute évidence, il veut déclencher son coup de main
sur les derniers éléments helvètes à lever
le camp, lorsque le gros de la colonne sera déjà parti (lors
du franchissement de la Saône, César avait agi ainsi).
A 2 kilomètres 200 du camp helvète,
Considius fait un compte-rendu erroné à César, et
celui-ci, craignant un retour des Helvètes, décide de ne
pas déclencher son coup de main. Il installe ses troupes en trois
lignes de bataille sur une proximus collis. Constans a traduit
par "une colline voisine" non! c'est une erreur, proximus est un superlatif;
il faut traduire par la colline très proche.
Grave négligence de Constans et des historiens...
il aurait fallu absolument identifier cette "proximus collis". Ce n'était
pas difficile: il s'agit de la ligne de crête qui descend, en arc
de cercle, de Sanvignes jusqu'aux Teuffaux, en passant par Ceurnay et le
mont Maillot. C'est une position idéale et rarissime
qui a permis à César d'installer à mi-pente du versant,
sur un front d'environ 2 km, quatre légions - 12 000 à 20
000 hommes - face à un champ de bataille dégagé et
où il n'y avait probalement que des champs et des prés.
En Alsace, on peut voir, au milieu de la plaine,
une importante et curieuse hauteur qui constitue un remarquable observatoire.
Les historiens y situent le lieu où les émissaires de César
se rencontrèrent avec ceux d'Arioviste. Cette hauteur a donné
au village voisin le nom de Cernay. Cernay vient du verbe latin "cerno",
cerner du regard. C'est un mot qui appartient au vocabulaire militaire,
qui évoque l'emplacement d'un P.C..
Sur notre colline très proche, la position
qui s'impose pour l'emplacement du P.C. de César se situe au centre
du dispositif. Ce lieu s'appelle... Ceurnay.
Nous sommes au jour précédant la
bataille, un peu avant midi. Les Helvètes, qui ont levé le
camp très tôt, marchent en direction de l'Arroux. A son P.C.
de Ceurnay, César se rend compte que les Helvètes ont quitté
les lieux et que l'attaque qu'il redoutait ne s'est pas produite. Il donne
l'ordre de départ et ses troupes reprennent la route, à la
poursuite des Helvètes.
Suivant la thèse Stoffel, Constans pense
que les Helvètes ont franchi l'Arroux, non! c'est absurde. Il est
évident que les Helvètes se sont arrêtés au
pied de l'oppidum de Toulon-sur-Arroux, de la même façon qu'ils
s'étaient arrêtés au pied de l'oppidum de Sanvignes
(p. 90). Depuis leur camp de Sanvignes, ils avaient parcouru une étape
d'environ 12 à 15 kilomètres. C'est une étape maximum
pour des femmes et des enfants qui marchent à pied.
César écrit qu'il installa son camp
à 4 km 400 du camp helvète. Une
position s'impose sur le plan du raisonnement tactique:
les contreforts montagneux de la Grande montagne. C'est à cet endroit
que César dit qu'il est à 27 km de Bibracte. Le Mont-Beuvray
est à 22 km, le Mont-St-Vincent est à 27 km à
vol d'oiseau.
Je continue ma traduction: Postridie eius diei,
le lendemain - nous sommes au matin du jour de la bataille. Bibracte
ire contendit, César se met en route vers Bibracte. AbHelvetiis
avertit, il se détourne et s'éloigne des Helvètes.
Quant aux Helvètes, commutato consilio, leur plan ayant été
modifié en conseil (pendant la nuit évidemment). Itinere
converso, leur cheminement ayant été inversé,
ils commencent à poursuivre et à harceler notre arrière-garde.
Le
texte latin est très clair: César et les Helvètes
ont fait demi-tour. Ils ont repris leur chemin de la veille.
Et maintenant, le texte devient d'une clarté
aveuglante. César se rend compte qu'il est poursuivi. Il a donc
parcouru déjà plusieurs kilomètres; il ne doit pas
être loin de la clairière de Sanvignes. Et voilà qu'il
décide de conduire ses troupes sur une "proximus collis". Constans
a traduit par une colline voisine, non! Il faut traduire par la colline
très proche. Il ne peut y avoir aucun doute. César
est revenu sur la colline très proche sur laquelle
il avait déjà disposé ses troupes le jour précédent
lors de son coup de main manqué. C'est une position idéale
et rarissime sur laquelle il a redéployé, sur un front de
2 km, à mi-pente du versant, les trois lignes de bataille de ses
quatre légions de vétérans. Et il réinstalle
son P.C. à Ceurnay (p. 64).
Supra se, au-dessus de lui, in summo
jugo, au sommet de la crête (du mont de Sanvignes) il place deux
légions de jeunes recrues avec des auxiliaires. Totum montem
hominibus compleret, de telle sorte que tout ce mont de Sanvignes était
rempli d'hommes. De toute évidence, il s'agit du mons dont
il parlait le jour précédent dans l'affaire de son coup de
main manqué.
"Mons", "proximus collis", ces deux mots répétés
deux fois, à l'aller et au retour, prouvent que César est
revenu sur ses pas et qu'en allant à Bibracte, il tournait le dos
au Mont-Beuvray.
La bataille commence à midi. Les Helvètes
attaquent. Les Romains contre-attaquent (p. 68). Les
Helvètes reculent . Mons suberat circiter mille
passum, ils voient le mont (de Sanvignes) qui est à 1 km 500
d'eux. Eo se recipere coeperunt, ils se replient vers ce mont. Belle
manœuvre de César: les Helvètes sont pris au piège
comme dans une souricière.
Mais voilà que la fortune joue un tour
à César: Capto monte, ce mont ayant été
pris d'assaut (sous-entendu: par les Helvètes), les
Romains les poursuivent en grimpant péniblement la pente. Ils sont
en position défavorable.
Les Boïens et les Tulinges qui marchaient
en arrière-garde arrivent alors sur le champ de bataille. Ils commencent
à entourer les Romains en les attaquant sur leur flanc découvert
par la marche. Voyant cela, les Helvètes qui s'étaient réfugiés
sur le mont, reprennent le combat: belle manœuvre des Helvètes.
La
troisième ligne de bataille romaine fait une conversion
et s'oppose aux Boïens et aux Tulinges, tandis que la première
et la deuxième lignes s'opposent aux Helvètes (p.70).
La bataille fait rage.
Sur ce champ de bataille de Sanvignes qui s'accorde
parfaitement
avec le texte des Commentaires et qui est dans la norme des grands
champs de bataille antiques, à ce moment capital du déroulement
des combats, on peut dire que les Romains étaient militairement
vaincus. Volontairement ou non, les Helvètes ont attiré César
dans les fonds. Ensuite, il leur était facile depuis le mont de
Sanvignes de s'emparer de la colline très proche que les
Romains avaient abandonnée.
Après les avoir encerclés sur trois
fronts, les Helvètes attendaient très certainement la nuit
pour donner l'assaut final. Comment les Romains pouvaient-ils maintenir
leur supériorité en escrime dans l'obscurité? Je
suis persuadé que, malgré leur valeur militaire, ils allaient
être submergés par les vagues d'assaut helvètes.
César a compris qu'il lui fallait d'urgence
déplacer le lieu du combat. Il n'a trouvé son salut que par
un coup de génie (p. 72).
Ce coup de génie, c'était une action/coup
de poing. Perdu pour perdu, renonçant à reprendre le mont
de Sanvignes, il a ouvert une brèche au point de jonction des troupes
boïennes et helvètes. Il a lancé sa deuxième
ligne de bataille à l'assaut des femmes et des enfants qui se trouvaient
en attente avec leurs chariots à Dornand, derrière la rivière
de l'Oudrache.
En entendant les cris de leurs femmes et de leurs
enfants que les Romains égorgeaient ou menaçaient d'égorger,
que pouvaient faire les Helvètes qui tenaient le mont de Sanvignes?
Une seule chose: arrêter le combat.
Dans ma conférence à la Société
d'Histoire de Chalon-sur-Saône, le 30 janvier 1993, je me suis efforcé
de montrer, non seulement l'absurdité tactique d'une grande bataille
sur les reliefs tourmentés de Montmort, mais aussi que le texte
des Commentaires interdisait de placer cette bataille à l'ouest
de l'Arroux. Pour une migration de cette importance qui se déplaçait
lentement, une étape de plus de 15 km est absurde. Un demi-tour
en marchant d'un convoi de milliers de chariots sur les mauvais chemins
de Montmort est plus absurde encore. Le texte des Commentaires est
là; on ne peut pas le faire mentir. Ce texte rassemble un faisceau
de preuves incontournables. Il confirme les affirmations de Strabon.
César n'a pas obliqué vers le Mont-Beuvray, il a fait demi-tour.
Quand
il se dirigeait vers Bibracte, il tournait le dos au Mont-Beuvray.
Il y a plus d'un an que j'ai publié mes
travaux. Aucun contradicteur ne s'est manifesté. Certes, aujourd'hui,
on parle beaucoup moins du Mont-Beuvray qu'hier - ce qui est dommage -
mais on fait comme si c'était toujours le site de Bibracte. Il faudra
bien, un jour, mettre les cartes sur la table.
A l'issue de son heure de vérité
du 19 décembre dernier, Otto de Habsbourg a écrit cette phrase
sur le livre d'or de France II:
Celui qui ne sait pas d'où il vient, ne
sait pas où il va, car il ne sait pas où il est.»
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