J'enterre ma vie de garçon. Par Rembrandt.
Huile sur bois. 20,5 cm x 17,5 cm. 1634. Cadre en ébène.
Le
22 juillet 1634, Rembrandt épouse la riche nièce de son
propriétaire, Saskia van Uylenburch. Son tableau improprement
appelé Le fils prodigue - il vaudrait mieux lui donner
le titre Je me marie - célèbre en réalité
cet événement. Vêtus de leurs habits de noce, les
deux époux fêtent leur mariage. Au comble de la réussite
et du bonheur, assis à la table du festin, Rembrandt tient sa
femme sur ses genoux. Il élève la grande flûte de
vin précieux à la santé du spectateur pour lui
faire part de sa joie. Le tableau est authentifié deux fois,
une fois par la signature de Rembrandt, une deuxième fois par
la carrure caractéristique de sa main gauche.
Rembrandt, je me marie,
toile, musée de Dresde
Si
on compare les deux tableaux, le nôtre, J'enterre ma vie
de garçon et celui de Dresde, Je me marie, on se
rend compte, qu'outre la main gauche, Rembrandt a reproduit sur le
second son visage tel qu'il l'a peint sur le premier.
Toute
l'œuvre de Rembrandt montre qu'il s'est représenté
tout au long de sa vie, un peu comme s'il voulait sonder l'homme
au travers du spécimen qu'il était. Ainsi s'expliquent
ses portraits où suivant son humeur, il s'est représenté
plus beau qu'il n'était ou plus laid, riant ou en colère,
richement vêtu ou mendiant. Ainsi s'expliquent nos deux
tableaux qui marquent l'événement le plus important
de sa vie.
Dans notre tableau, Rembrandt est dans une cave, seul,
dans l'ambiance souterraine, presque métaphysique, d'un
bonheur à venir. Il tient un verre de dégustation. Au
travers du cristal, le rouge du vin apporte au tableau sa note chaude
de couleur. Elégamment habillé, plume au chapeau -
Rembrandt est un amoureux des chapeaux les plus excentriques - la
main droite reposant négligemment sur le pommeau de sa canne,
il savoure ses derniers moments de liberté et d'insouciance.
Rembrandt aimait le vin, cela ne fait aucun doute. Dans
un autre de ses tableaux, faussement attribué à Téniers
(ancienne collection Schloss), il s'est représenté en
vieille femme abrutie par la boisson, tenant à la main le même
verre de dégustation. Ce visage de vieille femme, c'est ce
même visage veule de Rembrandt riant.
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"La rieuse" par Teniers.
Ancienne collection Schloss, œuvre
volée par les nazis et perdue. Il s'agit en réalité
de Rembrandt qui s'est représenté en vieille femme
buvant. |
Rembrandt
riant
Eau-forte. 1630. 4,8
x 4,2 cm
Monogrammé et daté
Legs
Wittert (1903)
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Mais,
pour Rembrandt, le bonheur n'a duré qu'un temps . La
descente aux enfers est très vite venue. Après avoir
emménagé dans une nouvelle maison, il perd
successivement sa femme et son fils. Ses affaires périclitent.
Les chairs de son visage s'affaissent sous l'effet de l'âge.
Ses christs pourrissent sur la croix. Sa vue baisse et, pour finir,
dans l'un de ses derniers tableaux, il se représente sous le
profil terrible et justicier d'un Dante qui, imperturbablement,
l'attend pour le conduire dans le monde des morts.
Rembrandt disant adieu au monde des vivants
Musée
de Cologne
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