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En 57 avant J.C.,
Jules César remportait une victoire décisive sur une coalition de peuples
de la Gaule du Nord. Dans l'édition "Les belles lettres" des Commentaires,
le général romain la relate en neuf pages, ce qui prouve bien son importance. Soutenus
par leurs alliés, 60 000 Nerviens combattirent avec une extrême bravoure. Comme
Bonaparte au pont d'Arcole, César prit l'épée d'un soldat et se porta au premier
rang.
A ce jour, le lieu de la
bataille n'est toujours pas localisé.
. Il
est bien évident que la thèse toujours officielle d'une localisation sur la
Sambre n'est pas admissible : le Sabis dont parle César n'est pas la
Sambrica. En revanche, la thèse plus récente d'une localisation entre Cambrai
et Bavay, sur la Selle, est beaucoup plus logique. En effet, on peut faire
l'hypothèse que les Nerviens se soient installés en position défensive derrière
la Selle et que les Romains, qui venaient d'Amiens, aient fait étape à la
sortie de Cambrai, à dix mille pas d'eux (14km800, le chiffre est donné par
César). Cette hypothèse ne tient pourtant pas pour deux raisons.
1°/ César
écrit que le mouvement de terrain de la rive ouest du
cours d'eau, sur laquelle il a pris position, avait une ligne de crête (jugum)
et que, de cette ligne de crête, la pente (collis) descendait régulièrement
jusqu'à la rivière.
Cette description est précise. Il s'agit d'un mouvement de
terrain allongé, entre deux vallées, et donc à peu près parallèle à la rivière
derrière laquelle les Gaulois s'étaient installés. Il écrit également qu'en
face de lui, de l'autre côté de la rivière, la pente (collis) occupée par ses
adversaires était semblable. Il va même jusqu'à préciser que cette pente se
caractérisait, en montant depuis la rivière, par une bande sans végétation, de
300 mètres de large jusqu'à une lisière de forêt où s'était embusqué, en ligne
évidemment, son adversaire. Le portrait-robot est facile à établir. Ces deux "collis"
sont à l'image de la "proximus collis" que j'ai identifiée dans mon
interprétation de la bataille de Sanvignes. Or, ces deux mouvements de terrain,
à peu près parallèles au cours d'eau et semblables, ne se retrouvent pas à
Saulzoir, là où la voie antique franchit la Selle.
2°/ César
écrit qu'au cours de la bataille Labiénus s'empara des "castra" des Nerviens
(côté rive est) et que de là, il avait vue sur le camp romain (côté rive
ouest). Or dans mon explication de la fameuse bataille de cavalerie qui précéda
celle d'Alésia, j'ai expliqué qu'il ne fallait pas toujours traduire le mot "castra"
par camps mais quelquefois par "fortifications" : l'infanterie de Vercingétorix
s'était déployée, à Noyers, devant des fortifications (de la ville
gauloise) et non devant des camps gaulois. En outre, il est absurde de
penser que les Nerviens aient perdu inutilement du temps à installer des camps,
alors qu'en toute logique, ils sont venus directement de Bavay se mettre en
place à la lisière, durant la nuit. Il s'ensuit qu'il faut ajouter dans mon
portrait-robot, du côté nervien, une fortification en pierres que, dans
ma logique militaire, je ne peux pas situer derrière la Selle.
Un franchissement de
rivière sur une voie antique menant à Bavay, capitale des Nerviens, que
surplombe une fortification d'où on a vue sur la rive opposée, aucune
hésitation, il y a bien là une volonté de contrôler un passage obligé dans le
cadre d'un système de surveillance, en avant de la capitale des Nerviens. Il
faut imaginer, au minimum, une tour, placée en avant-poste de Bavay, qui "voyait"
le gué de son point haut. L'expérience que j'ai acquise au cours de ma carrière
militaire me permet d'affirmer qu'il était plus logique pour les Nerviens de
placer cet avant-poste derrière l'Ecaillon, en liaison directe et rapide avec
Bavay, la Selle pouvant constituer une ligne supplémentaire d'interception en
avant de cet avant-poste. Dans cette hypothèse, il faudrait admettre que César
a installé ses camps de la veille, après avoir franchi l'Escaut, non pas à
Cambrai même, mais plus à l'est, vers Naves.
Le point le plus favorable pour surveiller le gué de l'Ecaillon est à
rechercher entre le lieu-dit "Le calvaire" (cote 92 sur la voie antique) et les
hauts du village de Bermerain. Et en effet, c'est bien là qu'ont été mis à jour
les importants vestiges d'un site antique connu sous le nom d'Hermomacum. Selon
les historiens locaux, ce site aurait été détruit au IIIème siècle.
On peut enfin, sur l'Ecaillon, appliquer mon portrait-robot. Le
mouvement de terrain tenu par les Gaulois monte de Vendegies-sur-Ecaillon
jusqu'à la Folie, cote 106. La lisière derrière laquelle ils étaient embusqués
suit l'actuelle départementale 85. Manifestement, l'intention des Gaulois était
d'interdire le passage de part et d'autre de la voie antique, soit par une
action défensive, soit plutôt par une action offensive du type embuscade. Le
dispositif aurait pu être le suivant : à l'aile droite, entre
Vendegies-sur Ecaillon et la voie antique : les Atrébates; entre la
voie antique et Bermerain : les Viromandues; entre Bermerain et La
Folie : les Nerviens (à l'aile gauche et en réserve d'intervention). Les
Atuatuques n'étaient pas encore arrivés.
La ligne de crête, côté romain, monte depuis la confluence de l'Ecaillon
et du ruisseau des Harpies jusqu'à la cote 102. La partie à gauche de la voie
antique étant en bas-fonds, l'élément précurseur romain a tout naturellement
monté sur la droite pour rechercher l'emplacement du futur camp. J'ai expliqué
à d'autres occasions pourquoi le camp romain était, pour ainsi dire, programmé
afin d'éviter les pertes de temps. Dès lors que les quatre coins étaient
matérialisés, que les zones de responsabilités à l'intérieur du camp et à
l'extérieur étaient jalonnées, tout le monde savait ce qu'il avait à faire. Mais
je voudrais aller un peu plus loin dans cette étude. L'officier chargé de
déterminer l'emplacement du futur camp devait tenir compte de plusieurs
éléments. Le camp devait avoir grossièrement la forme d'un carré orienté face à
l'ennemi de telle façon que les légionnaires retrouvent chaque fois le même
système auquel ils étaient habitués. Le périmètre jalonné devait faire environ
3 kilomètres : c'est en effet le périmètre du camp volant que César avait
établi sur l'Aisne et dont on a retrouvé la trace (ce camp était également
prévu pour 8 légions). La face avant de notre camp devait se trouver à une
distance convenable du cours d'eau de façon à pouvoir lancer le javelot en tir
rasant sur un adversaire qui aurait gravi la pente. La face arrière devait se
trouver sur la ligne de crête topographique du mouvement de terrain, de façon à
surplomber la contre-pente. Enfin, les faces latérales devaient couper
obliquement les courbes de niveau pour bénéficier de lignes de changement de
pente favorables, comme je l'ai expliqué dans mon interprétation de la bataille
d'Alésia. Compte tenu de la configuration de notre terrain, le camp tracé par
l'officier romain envoyé en précurseur ne pouvait donc avoir que la forme d'un
quadrilatère irrégulier.
Pour fixer les
zones de responsabilités, à l'intérieur et à l'extérieur du camp (aménagement
des abords, recherche des matériaux), la solution la plus simple consistait
pour l'officier précurseur à tracer à partir du centre du quadrilatère les deux
axes principaux, l'un en direction de l'ennemi, de la porte decumana (arrière)
à la porte pretoria (devant), l'autre la croisant, grosso modo à angle droit,
de la porte sinistra (à gauche) à la porte dextra (à droite).
Les
indications que donne César laissent deviner les implantations des différentes
légions à l'intérieur du camp, près des portes qui leur étaient réservées pour
y entrer, mais aussi pour sortir dans le cas où il aurait fallu qu'elles se
déploient en lignes de bataille, en avant de la position. Devant à gauche, la
11 ème légion sortait par la porte pretoria. A gauche, la 10 ème et la 9 ème
par la porte sinistra. C'est à partir de ce dispositif que s'est déployée
l'aile gauche romaine, la 9ème à l'extrême gauche, puis la 10ème, puis la 11ème
en revenant vers le centre. Du côté droit, le dispositif était semblable.
Devant à droite, la 8 ème légion sortait par la porte pretoria. La 12 ème et la
7 ème par la porte dextra. C'est à partir de ce dispositif que s'est déployée
l'aile droite romaine, la 7 ème à l'extrême-droite, puis la 12 ème, puis la 8
ème en revenant vers le centre.
Conformément à l'habitude, les éléments d'éclairage, cavaliers, frondeurs et archers ont franchi la
rivière et ont livré des combats d'escarmouches sur la bande de terrain dégagé
avec les cavaliers gaulois qui s'y trouvaient. Mais, lorsque l'aile droite
gauloise a déboulé de la lisière pour donner l'assaut, ces éléments légers ont été balayés et se sont enfuis en direction du
camp. Progressant au pas de course, les Atrébates sont arrivés très rapidement
sur la 9ème légion qui se trouvait à l'extrême gauche romaine, ainsi que sur la
10ème. Ces deux légions ont tout juste eu le temps de lancer, plus ou moins
bien, le javelot. Heureusement pour eux, les Atrébates étaient essoufflés par
leur longue course. Plus près du centre, les Viromandues sont entrés en contact
avec la 11ème et la 8ème légion qui ne semblent pas avoir eu le temps de lancer
le javelot parce que leurs adversaires sont arrivés plus vite sur eux en raison
d'une distance moins longue à parcourir. A cet instant précis, on se rend
compte que César avait mal apprécié la situation, se préparant à une bataille
frontale qu'il prévoyait probablement pour le lendemain ou les jours suivants. Ses
troupes ont été surprises et il a manifestement perdu la maîtrise des opérations.
En fait, c'est grâce à la valeur militaire du légionnaire que la situation
s'est retournée. Les quatre légions ont repoussé les Atrébates jusqu'à la forêt
et les Viromandues jusqu'à la rivière. Mais en s'éloignant ainsi, la 11 ème et la 8 ème légion ont laissé
découverte la face avant du camp qu'elles étaient censées protéger, offrant
ainsi à Boduognatos, le commandant en chef des Gaulois, les conditions
favorables à une attaque massive. Ces 11ème et 8ème légions étant donc
parties à la poursuite des Viromandues comme je viens de le dire, c'est la
12ème légion, seule, qui a encaissé, le véritable "coup de poing" lancé par le
chef gaulois. La 4ème cohorte de cette légion a perdu tous ses centurions et
dans les autres cohortes, ils ont tous été tués ou blessés. Face aux troupes
d'élite du chef nervien, il a fallu l'intervention personnelle de César tant la
situation était devenue critique. La confusion était à son comble. Les Nerviens
avaient pris pied dans le camp. Ils contournaient et enveloppaient les deux
légions lesquelles, n'étant plus protégées sur leurs flancs, avaient été
contraintes à se replier autour d'un seul point où la 12 ème légion avait
planté toutes ses enseignes. Formant le dernier carré, ou plutôt le cercle, les
soldats étaient tellement pressés les uns contre les autres qu'ils ne pouvaient
même plus manier leurs épées. Voyant que l'aile droite romaine était enveloppée
et que le camp était investi, les valets s'enfuyaient, tandis qu'en contrebas,
les cavaliers, archers et frondeurs, décimés lors du premier engagement, et qui
revenaient au camp pour s'y réfugier, refluaient en le voyant occupé par les
Nerviens, et se remettaient, eux aussi, à fuir dans toutes les directions. En
même temps, le convoi de bagages arrivait et les convoyeurs, pris de panique,
ne savaient plus où aller.
A la lecture des Commentaires , on
devine que l'objectif de Boduognatos était d'attaquer le camp romain alors que
les légions étaient occupées à l'installer et cela dès que le convoi de bagages
romain aurait été en vue (pour faire le plus de dégâts possible dans la plus
grande confusion). Dans ce but, il a lancé toute sa ligne de bataille à
l'assaut. Malheureusement, privée du soutien que les Atuatuques auraient pu lui
apporter s'ils avaient été au rendez-vous, son aile droite a été contrainte au
repli face à l'aile gauche romaine.
Remarquant,
à ce moment-là, que le devant du camp romain se trouvait très imprudemment
dégarni - peut-être l'avait-il prévu - Boduognatos a alors lancé dans la trouée
toutes ses réserves, pour soutenir son aile gauche certes, mais aussi et
surtout dans l'intention suivante : 1°/investir le camp, 2°/écraser sous
le nombre les deux légions très imprudemment laissées seules pour le garder,
3°/incendier le train des équipages de l'adversaire.
8° Manœuvre des Romains (suite). Mais revenons du côté de l'aile gauche romaine. Labiénus, après
avoir repoussé et poursuivi les Atrébates, avait progressé jusque dans les
hauts de Bermerain. Il s'était emparé du "castrum" des Nerviens. Du haut de la tour
principale, il a vu que César se trouvait dans une situation extrêmement
critique. Aussitôt, il a envoyé à son secours la 10ème légion qui a pris les
Nerviens à revers. En même temps, les deux légions qui suivaient le convoi des
bagages sont arrivées sur le champ de bataille au pas de course. C'est à ce
moment-là que la fortune des armes a changé de camp.
Mais
l'ennemi, écrit César, alors même qu'il ne lui restait plus d'espoir, fit
preuve d'un tel courage que, quand les premiers étaient tombés, ceux qui les
suivaient montaient sur leurs corps pour se battre, et quand ils tombaient à
leur tour et que s'entassaient les cadavres, les survivants, comme du haut d'un
tertre, continuaient à lancer leurs traits et renvoyaient les javelots qui
manquaient leur but.
Il faut se
rendre à l'évidence et il faut le dire franchement. En faisant remonter à
l'époque gallo-romaine tout un patrimoine qu'il aurait fallu attribuer aux
Gaulois du temps de l'indépendance, nous, historiens, archéologues, écrivains,
érudits, responsables culturels, médiatiques et politiques, nous nous sommes
trompé. Les "castra" gaulois de Bermerain (Hermomacum) étaient de solides
fortifications... en pierre.
Il en était ainsi de Bavay. Cette formidable
citadelle aux vestiges remarquables n'a pas été fondée ex nihilo sur terrain
vierge par les Romains, comme l'affirme l'archéologie officielle; c'était déjà
la capitale des Nerviens bien avant l'arrivée de César. Cette chaussée
Brunehaut dont on retrouve la trace merveilleusement rectiligne sur le terrain,
entre Amiens et Bavay, et que la carte de Peutinger désigne avec sa
station d'Hermomacum, n'est pas une ancienne voie romaine; elle existait déjà
en ce temps-là. Et dans toute la Gaule, c'était ainsi.
Aussi, est-ce
une très grave erreur que de faire croire à nos concitoyens qu'à l'époque de
Vercingétorix, La Gaule, ça n'est rien, ça n'existe pas (cf. "Le dossier
Vercingétorix" de M. Christian Goudineau, professeur au Collège de France,
titulaire de la chaire des Antiquités Nationales, page 238).
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